Posté le 09/11/2015 par Henri Isaac

20150911.png

La transformation digitale du monde est une nouvelle étape dans la mathématisation du monde (Roux, 2011). Elle se traduit par une mise en donnée de la réalité des interactions marchandes et sociales. Cette « datafication Â» conduit à l’apparition d’une nouvelle matière première, la donnée. Celle-ci est présentée comme la nouvelle unité de base d’un capital que les entreprises devraient constituer par accumulation, qu’elles devraient par la suite valoriser en organisant sa circulation, notamment dans l’industrie afin d’accélérer le passage à une logique de service et éviter ainsi la commodisation des produits (Opresnik, Taisch, 2015). 

Dans la période actuelle, de plus en plus d’entreprises bâtissent donc des modèles d’affaires fondés sur la donnée (data-driven business model). La variété de ces modèles est importante (Hartman & alii 2014 ; FTC 2014), traduisant de nombreux positionnement possibles le long de la chaîne de valeur de la donnée : collecte, stockage, traitement, protection, commercialisation. Quel que soit le positionnement dans la chaîne de la donnée, la question de la valeur de la donnée est rarement discutée comme si elle allait de soi. A cet égard, les discours sur les données produits par l’industrie des technologies de l’information ou les défenseurs de la vie privée ne portent que rarement sur cette question de la valeur de la donnée.

De quelle valeur parle-t-on ? Tout dépend de quel point de vue on se place : celui du client ou de l’entreprise. Une étude menée par Orange en Europe (Orange, 2014) illustre bien le fait que les clients ont conscience de la valeur de leurs données privées sans pouvoir en évaluer réellement leur valeur monétaire, ce qui constitue un des enjeux de la notion de self-data et d’une approche Vendor Relationship Management (VRM)[i], dans laquelle l’utilisateur gère l’accès des entreprises à ses données. Du côté des entreprises, le simple fait de collecter de la donnée ne constitue pas per se une source de création de valeur. En outre, créer de la valeur par l’exploitation de la donnée dépend de nombreux paramètres. 

En premier lieu, la nature de la donnée (données personnelles, données techniques, données comportementales, données primaires versus secondaires) doit être prise en considération car elle détermine les traitements possibles, notamment d’un point de vue légal. 

Cependant, la plupart des données n’ont de valeur que si elles sont complétées par des métadonnées[ii] qui les décrivent et permettent leur exploitation. La prise de conscience de la valeur économique des métadonnées est récente car jusqu’ici, elles n’ont été perçues que pour leur rôle technique (Greenber, 2014). C’est donc la combinaison des données et des métadonnées qui conditionnera la valeur produite. 

Par ailleurs la qualité des données est un autre facteur qui conditionnera la production de valeur, et notamment à l’ère des méga-données, leur véracité (Teboul & Berthier, 2015). 

En second lieu, la nature des traitements (modélisation algorithmique, temps réel, etc.) conditionne également la valeur extraite des données. Par conséquent, la question de la création de valeur à partir de la donnée nécessite d’expliciter ces mécanismes. Ceux-ci sont désormais de plus fondés sur des algorithmes auto-apprenants (machine learning, deep learning) (Donoho, 2015). Dès lors, le traitement algorithmique ne permet pas seulement de produire un service, mais aussi de l’améliorer en continu. La donnée a donc ici une double valeur.

En synthèse, la valeur de la donnée ne peut être que conditionnelle et non intrinsèque comme de nombreuses analyses le laissent penser, ce que nous résumons dans la figure 1. 

Figure 1 : Un cadre pour l’analyse de la valeur de la donnée

 

Cette complexité dans les mécanismes de création de valeur fondés sur les données appelle de nombreux travaux de recherche complémentaires afin de préciser les combinaisons les plus créatrices de valeur et de bâtir les modèles d’affaires pérennes. A cet égard, le recours à une modélisation fondée sur le modèle des options réelles est une piste possible. 

Enfin, quelle que soit la valeur produite à partir des données, il demeure que leur valeur finale pour l’entreprise résidera dans la qualité de leur utilisation dans la relation de service avec le client final, comme le montre une récente étude dans l’industrie de la distribution[iii].

 

Références

1.  Roux S., (2011), « Pour une étude des formes de la mathématisation Â», in La mathématisation comme problème, Editions des archives contemporaines, pp.3-38, https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00813050

2.  Opresnik D., Taisch M., (2015), « The Value of Big Data in servitization Â», International Journal Production Economics, Vol. 165, pp. 174-184.

3.  Federal Trade Commission, (2014), Data Brokers. A call for transparency and accountability, May, 110 p. https://www.ftc.gov/system/files/documents/reports/data-brokers-call-transparency-accountability-report-federal-trade-commission-may-2014/140527databrokerreport.pdf

4.  Greenberg J., (2014), « Metadata Capital: Raising Awareness,Exploring a New Concept Â», Bulletin of the Association for Information Science and Technology, April/May,Vol. 40, N° 4, pp. 30-33

1.  P. M. Hartmann, M. Zaki, N. Feldmann, A. Neely (2014), Big Data for Big Business? A Taxonomy of Data-driven Business Models used by Start-up Firms, Working Paper, Cambridge service Alliance, March, 30 p.

2.  Orange, (2014), The future of digital trust. A European study on the nature of consumer trust and personal data

3.  Teboul B., Berthier T., (2015), « Valeur et Véracité de la donnée : Enjeux pour l'entreprise et défis pour le Data Scientist Â», Actes du colloque « La donnée n'est pas donnée » École Militaire – 23 mars 2015, https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01152219

4.  D. Donoho, (2015), 50 years of Data Science, Working Paper, Sept. 18, Version 1.00

[i] Voir www.culturemobile.net/point-expert/self-data

[ii] https://fr.wikipedia.org/wiki/Métadonnée

[iii] CapGemini Consulting, (2015), Privacy Please: Why Retailers Need to Rethink Personalization, Octobre. www.slideshare.net/capgemini/privacy-please-why-retailers-need-to-rethink-personalization