Posté le 26/06/2018 par Stéphanie Dameron

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Cette note présente la perception de l’IE publique dans la sphère privée, les besoins des entreprises pour une intelligence économique orientée « business », et leurs attentes.

 

      A l’heure d’une évolution potentielle de la structure centrale de politique publique d’intelligence économique (IE), il s’agit d’analyser les possibilités d’une meilleure collaboration entre les entreprises et une administration centrale de l’IE. Cette note présente la perception de l’IE publique dans la sphère privée, les besoins des entreprises pour une intelligence économique orientée « business Â», et leurs attentes. Cette note s’appuie sur les travaux de la chaire IESO de l’université Paris-Dauphine. Elle n’engage toutefois que son auteur.

 

Des perceptions marquées par une méconnaissance réciproque

-  Une IE publique perçue comme essentiellement défensive

     La France se distingue d’autres pays comme l’Allemagne ou les Etats-Unis par un maillage territorial via les CCI et les Préfectures, ainsi qu’un dispositif centralisé, actuellement le SISSE. Telle que perçue par les entreprises, la politique publique est d’ordre plutôt défensive, oscillant entre protection de l’emploi sur le territoire national et l’affirmation d’une souveraineté sur certains secteurs et/ou technologies considérés comme stratégiques. 

 

-  Une IE publique perçue comme opaque, avec des missions trop larges et mal définies

     Les missions de l’IE publique semblent à la fois trop larges, mal définies et les réalisations sont peu connues des entreprises. Les questionnements sur les secteurs dits stratégiques sont symptomatiques de cette opacité. Cette liste reste confidentielle, le choix des critères présidant à sa constitution est méconnu ainsi que les critères eux-mêmes. Par ailleurs, l’impact d’une telle liste reste assez flou : les entreprises manquent d’éléments pour évaluer les conséquences d’être ou non « labellisées comme stratégiques Â». Par ailleurs, les actions du Sisse (Service d’information stratégique et de sécurité économiques) restent encore mal connues des entreprises, qui ne peuvent donc le percevoir comme un interlocuteur privilégié. 

-  Une IE publique perçue comme cloisonnée, avec peu d’interactions avec les entreprises

     Les informations détenues semblent peu partagées entre le domaine public et privé, une certaine méfiance réciproque et une incompréhension semblent présider. Par ailleurs, un sentiment de manque de coordination entre les différents services et ministères grève les possibilités de collaboration avec les entreprises. Enfin, le peu de perméabilité des services de l’Etat aux personnes ayant une expérience en entreprise ne facilite pas les échanges et la constitution de réseaux communs. En revanche, le développement plus récent d’une forme de diplomatie économique est reconnu, grâce à l’action renforcée des Ambassades dans ce domaine. Ces relais diplomatiques apparaissent comme un des axes prometteurs et fructueux de coopération.

 

Des besoins de surveillance et de renseignements sur les postulats qui conditionnent la réalisation des objectifs stratégiques

 

     Pour les PME, l’IE est généralement du ressort du dirigeant, en lien avec son réseau de parties prenantes internes et externes. Dans les grands groupes, l’IE n’existe pas toujours de manière formalisée. Lorsqu’une fonction existe, elle peut être incarnée par une seule personne, sorte de conseiller à la direction générale, ou par un département allant jusqu’à une dizaine de collaborateurs. Lorsque cette fonction est centralisée, elle peut être liée au Secrétariat Général, aux directions de la Sureté, de la Stratégie ou des Affaires publiques. En fonction de son positionnement dans l’organisation, l’IE peut être plutôt défensive (direction de la Sureté) ou offensive (direction de la stratégie, des Affaires publiques ou de l’Innovation notamment).

     Les versions les plus abouties de la fonction IE, induisant une vision stratégique, travaillent sur les postulats (ou hypothèses à risque) sur lesquels se forment des choix stratégiques. Ces postulats sont des paris sur l’avenir, paris qui peuvent être d’ordre économique, mais également sociologique, technologique, politique, environnemental et règlementaire. L’IE a ici pour objectif de surveiller la potentialité de réalisation ou non de ces postulats/hypothèses à risque. Cette mission de surveillance et de renseignement induit de définir des hypothèses alternatives, susceptibles de remettre en cause les choix initiaux. En lien étroit avec la direction générale, et plus spécifiquement avec le ComEx, il s’agit donc de continuellement questionner les orientations stratégiques suivies afin de mieux anticiper les dynamiques de marché, l’apparition de nouveaux acteurs, et les actions de riposte des concurrents, souvent absentes des plans stratégiques. Ce questionnement doit permettre d’éclairer une décision en amont, d’aider à créer les conditions favorables à sa réalisation, ou, si nécessaire, de faire évoluer une décision passée, pour changer, voire transformer une stratégie. Il s’agit donc de développer des entreprises dites « agiles Â», capables à la fois de plasticité vis-à-vis des évolutions de leur environnement stratégique et de façonner un état futur souhaité.

 

Des besoins de coopération avec l’IE publique

 

     La sphère privée et sphère publique de l’IE ne sont pas destinées à travailler en étroite coordination formalisée, du fait non seulement d’un risque d’ingérence (dans les deux sens) mais également d’un risque de décalage entre des postures affichées sur du court terme en lien avec un calendrier politique et des stratégies nécessaires sur le long terme. Sphère privée et publique peuvent en revanche coopérer sur des actions précises et développer une vision commune des besoins. 

Ces besoins sont au moins de quatre ordres :

-  Redonner une sémantique à l’IE

Une chose n’existe que si on la nomme. Il existe un référentiel de l’IE, une sémantique associée. L’IE s’affirmera d’autant plus dans les entreprises comme une fonction à part entière, au croisement du renseignement, de la dure diligence et de la stratégie, que l’Etat assumera cette sémantique et diffusera des méthodologies résultant de bonnes pratiques.

-  Pour une vision plus offensive de l’IE publique 

Si les entreprises ne souhaitent pas que l’Etat s’implique dans la détermination de leurs choix stratégiques, elles semblent en revanche désireuses de pouvoir bénéficier d’une politique plus offensive quant aux normes et aux réglementations internationales, et quant à la politique d’aide au maintien et développement de technologies et de services déterminants pour la souveraineté nationale. Une articulation plus étroite avec des organes de financement comme la BPI serait souhaitable.

-  Pour un échange plus étroit d’informations sur des thématiques prédéfinies, co-construites

Très concrètement, sur la base d’une confiance construite, les entreprises pourraient mobiliser une administration centrale sur certaines thématiques précisesprédéfinies ensemble, susceptibles de les aider dans leur surveillance et renseignements des hypothèses à risque pour leurs objectifs stratégiques. Un grand nombre des informations dont elles peuvent avoir besoin ne sont pas d’ordre économique. Une administration centrale, jouant le rôle de « guichet unique Â» sur certains domaines d’intervention spécifiques à l’IE, doit pouvoir faire remonter les informations nécessaires des différents ministères concernés par ces thématiques et partager des expériences. Ces thématiques peuvent être réévaluées avec le temps.
Le mode d’action de cette administration centrale doit donc combiner des alertes et le soutien sur ces thématiques co-construites, soutien à la fois auprès des entreprises et des ministères, susceptibles de conduire à des fertilisations croisées, utiles pour l’action de l’Etat.

-  Pour un relais à l’international

Le modèle allemand présenté ci-dessus peut servir de comparaison pour le renforcement d’une culture exportatrice soutenue par l’IE. L’utilisation des réseaux d’Ambassades à la fois pour informer mais aussi pour influencer, la capacité à « chasser en meute Â» pour offrir une palette complète de services et profiter des synergies dans les offres des entreprises, la possibilité de bénéficier d’informations d’autorités compétentes, sont autant d’actions qui peuvent être appuyées par une administration centrale de l’IE.
Par exemple, cette administration pourrait contribuer à la production de notes de veille des Conseillers économiques des Ambassades françaises, ou encore à la facilitation des démarches administratives relatives aux mécanismes de financement de « l’offre France Â» sur des secteurs précis. Il s’agit aussi dans certains cas particuliers de pouvoir mettre à disposition des entreprises des moyens régaliens pour les aider dans leur développement et internationalisation.

 

       A l’heure d’une réflexion sur la compétitivité, le rayonnement et la souveraineté de notre pays, il s’agit d’assumer l’existence d’une fonction d’intelligence économique au plus haut niveau de l’Etat, soucieuse de développer une coopération plus étroite avec les structures de financement public et avec les organisations productives, via les chambres de commerce et leurs organes de représentation. C’est d’un Etat stratège dont il est question ici.