Par Tomi Laamanen, directeur de l’Institut de Management à l’Université St Gallen en Suisse

Mercredi 1 octobre 2014
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Dans des univers toujours plus imprévisibles et concurrentiels, les turbulences extérieures pouvant affecter et ébranler les entreprises sont nombreuses : crises de l’euro, ralentissement économique de la Chine, augmentation de la dette nationale de l’Etat Américain, déclin de la profitabilité des banques privées Suisses, etc.

Face aux crises, la remise en cause de la stratégie poursuivie est rarement envisagée au profit d'actions de court terme visant à rétablir l'équilibre financier. Pourtant des travaux existent depuis les années 80 sur le "Strategic Issue Management", c'est-à-dire la capacité d'une entreprise à prévenir les retournements stratégiques et à anticiper les opportunités et menaces.

Le cas de l’entreprise finlandaise Nokia est emblématique de la difficulté de changer d’orientations stratégiques, ce qui a conduit dans un premier temps à un déclin significatif de la profitabilité de la société, puis à son rachat par Microsoft.

Jusqu’à la fin des années 2000, Nokia pouvait être considérée comme un modèle de réussite. En effet, le chiffre d’affaires de la société était passé d’environ 800.000 euros en 1997 à plus de 5 milliards en 2007, le groupe est devenu la première capitalisation européenne en 2000, et détient 61% des parts de marché des téléphones portables au 3ème trimestre 2008.

Avec une telle situation, il paraissait inconcevable pour la direction générale de Nokia de voir leur position remise en cause. L’entreprise, référence en matière de technologie téléphonique, vise à développer un système d’exploitation (nommé Symbian) pour  ses smartphones au travers duquel les applications développées pour tout système d’exploitation pourraient fonctionner. La lourdeur technique d’un tel projet fait prendre beaucoup de retard au développement de cette nouvelle plateforme.

Ainsi, à partir de 2008, Nokia a commencé à perdre des parts de marché au profit d'entreprises utilisant des systèmes d'exploitation plus simples, Android et Apple iOS en tête.

Les raisons de cet échec sont multiples. Néanmoins, le problème vient essentiellement du fait que Nokia ne s’est pas concentré sur les besoins critiques des consommateurs. En effet, les acheteurs étaient moins soucieux d’acquérir un outil téléphonique extrêmement performant que désireux d’avoir accès à un dispositif de communication intelligent et simple d’utilisation.

Confrontée à une situation de crise, l’entreprise a cherché à répondre à la question « quelle est la solution ? Â» mais en a oublié de s’interroger sur la problématique du « quel est le problème ? Â». Les sessions de réflexion sur les risques stratégiques potentiels ayant été supprimées en 2008, la société n’avait plus d’analyse spécifique permettant d’envisager ces questions de façon différente et poussait une vision technologique aux dépens d’une redéfinition des orientations stratégiques.

De plus, fort de sa capacité historique à être agile et à prendre des décisions rapides, le groupe pensait pouvoir rapidement rebondir en cas d’échec des options stratégiques initialement suivies. Cependant, la succession de mauvais choix stratégiques, sans investissement dans les options alternatives plausibles, a eu raison de la division téléphonie de l’entreprise.